Boulettes

Mise au point :

Hors-série Philosophie magazine août 2012

 

Je déplore le texte de mon « Interview », publié en août 2012, dans l’album hors-série que je n’ai malheureusement pas eu l’idée de lire avant sa publication. Il s’y trouve, outre quelques sottises, deux faussetés matérielles que je dois rectifier. Naturellement je n’ai jamais téléphoné à la police pour appeler à la rescousse des professeurs menacés par les étudiants (je n’ai d’ailleurs jamais, à ma connaissance, téléphoné à la police). La scène des étudiants qui craignent d’être égorgés vifs par les professeurs, dont j’ai été effectivement témoin, se passait du reste non pas à la Sorbonne en 1968 mais en 1969 à Nice. D’autre part je n’ai jamais été sceptique et réactionnaire (l’un s’oppose d’ailleurs à l’autre), pas plus j’imagine que Robert Crumb, au sens usuel, c’est-à-dire politique du terme. Si j’ai dit cela c’est que j’ai pris un mot pour un autre, comme le dirait Jean Tardieu.

C. R., 15 septembre 2012


Riposte au livre de Stéphane Vinolo

 

S. Vinolo. Clément Rosset. La philosophie comme anti-ontologie, L’Harmattan, 2012. Recension : ici

Tout lecteur de l’œuvre de Clément Rosset, si réticent soit-il à ses idées, a compris lors de sa lecture au moins une chose : que pour Rosset le réel est le réel et que les hommes inventent toute sorte de moyens, ce que Rosset appelle des « doubles », pour échapper à cette seule vérité. C’est même là la raison pour laquelle la pensée de Rosset apparaît, pour certains philosophes en tout cas, comme indigente et indigeste : aucune différence entre la réalité commune et courante et l’ « être », par où il apparaît une sorte d’impossibilité de tout changement au statut ontologique des choses. D’où, au mieux, une mise à l’écart de Rosset du domaine (universitaire) de la philosophie, un manque de prise en considération, et, au pis, une haine ouverte à plusieurs visages envers ses thèses provenant de différents points de vue. Si le réel est le seul réel, alors la possibilité d’un « autre monde » — de la vérité, de la morale, etc. — est supprimée d’emblée. Ainsi tout lecteur sera-t-il surpris de prendre connaissance de la thèse d’un livre récent de Stéphane Vinolo (Clément Rosset. La philosophie comme anti-ontologie, L’Harmattan, 2012), exprimée dès le quatrième de couverture, affirmant que selon Rosset le réel n’est pas du tout réel puisqu’ « il n’y a de réel que les doubles ». Autrement dit, il n’existe que l’hallucination humaine servant à fuir le réel, mais ce dernier est également hallucinatoire (que fuit-on alors ?). Tout au long de la lecture de cet étrange ouvrage, le lecteur ne peut s’empêcher de se demander s’il n’y a pas une certaine dose de malhonnêteté dans cette manie hélas assez courante de faire dire à un auteur l’exact contraire de ce qu’il pense tout en voulant l’expliciter davantage (ce qui implique d’ores et déjà l’idée tout aussi étrange que l’auteur n’a pas bien su s’exprimer lui-même). Mais ce sentiment premier s’affaiblit quelque peu lorsqu’on lit, non sans quelque stupéfaction, cette citation de Rosset que Vinolo consent à nous livrer (p. 158) et qui sert à infirmer chaque mot constituant l’ensemble de son ouvrage : « Je dénonce donc définitivement le double comme illusion majeure de l’esprit humain (dès lors, naturellement, que le double se donne comme rival fantomal du réel, comme compensation, subtile et dérisoire à la fois, des souffrances attachées à la prise en charge de la réalité). » — Le livre de Vinolo est donc le fruit, plutôt que de la malhonnêteté, d’une confusion mentale assez extravagante qui a l’avantage néanmoins de fournir une manifestation de plus, quoiqu’ici assez cocasse puisqu’elle prétend prendre appui précisément sur la thèse qui la contredit, de cette incapacité de prendre en charge la réalité : le fait que je fuie le réel veut dire que le réel n’existe pas. Et l’on ne sera pas dès lors très étonné de voir affirmer Vinolo (p. 183) que Rosset aurait dû plutôt, pour éviter les méprises, répéter la pensée de Derrida qui, elle, semble être juste à ce sujet, et dire que le réel est une illusion. Le texte pourtant bienveillant à l’égard de Rosset de Vinolo peut donc sans doute s’expliquer par cette autre idée que Rosset exprime dans En ce temps-là, ses notes sur Althusser : « Il y a, me semble-t-il, deux catégories d’hommes à jamais incapables d’entendre ce que vous dites : celle de vos ennemis et celle de vos amis. Rien à attendre des premiers, qui ont pris le parti de vous ignorer. Mais rien à attendre, ou plus exactement beaucoup à craindre, des seconds, qui vous aiment tant qu’ils seront toujours incapables, par un effet de sympathie préalable et hallucinatoire, d’entendre de vous autre chose que ce qu’ils désirent s’entendre dire personnellement, pour correspondre à leurs propres soucis et fantasmes. »

S. E.


L’art de ne pas lire

 

Les expressions ridicules que M Ch. Ramond attribue à Clément Rosset, p. 28-29 du livre de Vinolo (cf. plus haut — « vrai philosophe », « mauvais savant », etc.), figurent dans une page (p. 295 de L’Ecole du réel) où il décrit en style indirect les méfaits d’un raisonnement dû à une raison folle et détraquée (p. 294). Méprise de lecture (où absence de lecture) par laquelle on lui fait porter le fardeau des inepties qu’il dénonce.

S. E.


Le Choix des mots : invitation à ne pas écrire?

 

Dans son livre Bartleby y compañía (Barcelone, Anagrama, p. 96), E. Vila-Matas attribue au Choix des mots la thèse selon laquelle « l’homme non créatif peut se considérer comme étant supérieur à l’homme créatif dans la mesure où ce dernier ne possède que le pouvoir de créer, tandis que l’autre dispose de ce même pouvoir mais aussi, en outre, celui de renoncer à créer ». — La thèse soutenue par Rosset dans le Choix des mots consistant à réfuter de façon insistante l’idée (exprimée par un certain M. Dufourcq, mais qui ne fait que reprendre une thèse de Valéry bien connue) d’après laquelle le meilleur écrivain est celui qui n’écrit pas, on ne voit pas comment M. Vila-Matas a pu justifier son propos, qui consiste à préférer, comme Bartleby, ne rien faire, à l’aide de ce livre. Sans doute s’agit-il d’un manque de compréhension du français ; heureusement, la parution récente de la traduction en espagnol de ce livre (La elección de las palabras, Santiago du Chili, Hueders) est à même désormais de pallier cette méprise qui circule depuis quelque temps dans le monde hispanophone.

S. E.